Pourquoi les psychanalystes sont-ils dans le mouvement anti DSM – Gérard Pommier

Lorsque nous nous sommes réunis, il y a un peu plus de trois ans, d’abord une centaine, puis un plus petit groupe d’une quinzaine de psychiatres, ayant une longue expérience clinique, tous travaillant ou ayant travaillé dans les hôpitaux psychiatriques, dans les centres de soins pour enfants, les services de réanimation, les services de pédiatrie, nous avons mesuré que nous étions tous psychanalystes.

Pour ceux qui suivent le mouvement anti DSM depuis ses débuts, ils auront remarqué que nous n’avons jamais fait la moindre publicité pour la psychanalyse, nous ne nous sommes jamais comportés comme si la psychanalyse était en guerre contre d’autres abords thérapeutiques.

Nous avions certes notre point de vue propre, mais nous avons pensé que la constatation des dégâts des diagnostics erronés, évoqués par Allen Frances, de la transformation en maladie de problèmes de la vie ordinaire, même l’amour, ou même le deuil, ne concernait pas que nous mais le Bien public. Nous avons estimé qu’arrêter ces dégâts intéressait aussi bien les neuroscientifiques, dont les découvertes plaident largement en faveur des points de vue de Freud.

Ces dégâts intéressent aussi bien les chercheurs qui sont obligés de publier leurs travaux dans une nomenclature qui ne correspond pas à l’observation scientifique. Nous avons convaincu que les enseignants et les étudiants ne pouvaient ni donner ni recevoir une bonne formation clinique avec un manuel d’épidémiologie qui est une véritable jungle toujours plus touffue et envahissante, et cela parce qu’elle ne trouve aucune preuve scientifique. Nous avons pensé que les médecins de ville étaient réduits au rôle de dealer, de distributeur de médicaments, parce que ce manuel fait peur en mettant la maladie partout. Et nous avons aussi pensé que les politiques devaient finir par se rendre compte du coût non seulement humain, mais financier que ce DSM engendre. Il n’y a pas besoin d’être psychanalyste pour mesurer ces réalités.

Il est vrai que nous avons pris beaucoup de retard avant de nous rendre compte que la démolition risquait de devenir irréversible. Nous avons d’abord cru que nous avions affaire à une classification inoffensive destinée à l’épidémiologie, au codage de la sécurité sociale, aux estimations financières. Pourquoi pas d’ailleurs ?

Mais il a bien fallu se rendre compte qu’il s’agissait d’une entreprise hégémonique, destinée à étouffer n’importe quelle autre façon de penser, de soigner, d’enseigner, de chercher, comme si pour s’imposer le mensonge devait prendre toute la place.

Nous nous sommes peut-être bien réveillés un peu tard comme si notre tolérance de principe, se retournait non seulement contre nous, ce qui n’est pas grave, nous en avons vu d’autres, mais aussi plus profondément contre toute intelligence de la souffrance psychique, désormais enfoncée dans une pathologie généralisée.

Lorsque nous l’avons compris, c’était David contre Goliath, mais il faut dire que nous avons eu raison d’être confiants, que nous avons tout de suite trouvé des cliniciens et des chercheurs qui s’insurgeaient comme nous, en Espagne, aux USA, en Amérique du Sud, en Grande-Bretagne. Il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que trois grands quotidiens français mettent à la une nos inquiétudes. Aujourd’hui nous sommes bien conscients que c’est toujours David contre Goliath, en tout cas tant que nous n’aurons pas réussi à toucher les politiques, qui subissent un lobbying intense depuis plusieurs années, avec y compris comme conséquences les positions invraisemblables et antiscientifiques de l’AERES.

Nous en sommes d’autant plus conscients que nous n’avons pas l’intention d’abandonner nos positions de tolérance qui respectent la profondeur de champ de la souffrance psychique. Nous ne sommes pas contre les médicaments, et les laboratoires devraient être des alliés s’ils n’étaient pas si voraces. Freud parmi les premiers imagina qu’il devait exister des neuromédiateurs et cela longtemps avant qu’ils ne soient découverts. Il n’opposa jamais le psychique et le somatique, qui interagissent dans les deux sens. Il est vrai que notre clinique a aujourd’hui beaucoup de différences avec celles de Freud, car les psychotropes n’existaient pratiquement pas à son époque, ce qui fait que nous avons beaucoup plus de patients qui étaient autrefois enfermés.

Mais quels que soient les traitements, il faut d’abord un bon diagnostic, ce qui est de moins en moins le cas. Quelles que soient les rééducations et les méthodes, elles demandent le respect de la position subjective, sa reconnaissance. Nous ne sommes pas des machines, et il n’y a à ce jour aucune preuve scientifique de causes organiques à la souffrance psychique. Pour prendre un exemple dans ce qui a fait débat public récemment, nous considérons qu’un autiste est un sujet dont la souffrance intime mérite d’être entendue, indépendamment de n’importe quelle rééducation. Ce n’est pas contradictoire, même lorsque l’autisme est d’origine organique, comme cela arrive parfois. En réalité, la reconnaissance de la subjectivité est une condition essentielle de toute autre rééducation.

Nous sommes bien conscients de l’énorme puissance qui s’est désormais installée sur le marché, dans les universités, dans les allées du pouvoir, à l’AERES. Heureusement, nous avons un allié de taille, qui est l’inconscient lui-même, qui ne lâchera pas pied aisément et demandera à être entendu. En tout cas nous ferons ce qu’il faut pour que sa raison, qui est d’ailleurs la raison tout court soit entendue.

Nous sommes en faveur d’une classification fondée sur des critères scientifiques, sans aucun présupposé ni organique, ni psychique quant à leur cause. Une division entre le psychiatre, le psychologue, le chercheur est totalement dépourvue de pertinence, c’est bien à titre de psychanalystes que nous soutenons ces objectifs, avec tous ceux qui se rendent compte comme nous de ce que représente l’entreprise D.S.M.

Gérard Pommier

Texte présenté lors de la journée « De STOP DSM à POST DSM » Paris, le 22 novembre 2014

novembre 24, 2014

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