La globalisation du TDAH : l’exemple français – Patrick Landman

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Il nous faut nous rendre à l’évidence : certaines « maladies mentales » sont l’objet d’un marketing, se vendent comme des produits industriels et commerciaux. C’est le cas ces dernières années du TDAH. Cette « maladie » est au centre de prospectives commerciales et d’études de marché et quand un marché est saturé ce qui correspond à un pic de la « fausse épidémie » les acteurs principaux grâce à la mondialisation se tournent vers des marchés émergents prometteurs en terme d’expansion ou des marchés dans lesquels subsistent une potentialité de croissance de la vente du produit. On ne vend plus seulement des médicaments mais des maladies.

La psychiatrie se prête particulièrement à cette politique commerciale dans la mesure où les critères de distinction entre normalité et pathologie ne sont pas définis scientifiquement et que les pathologies mentales sont des constructions sociales à géométrie variable. Par exemple on estime que le « marché » US est désormais sans perspective de croissance avec en moyenne 11% des enfants âgés de 7 à 17 ans diagnostiqués TDAH et alors que les USA représentent encore près de 70% de la totalité de la consommation des produits anti TDAH, enfants adolescents et adultes confondus. La croissance du TDAH a également été très forte au Canada, en Australie et en Nouvelle Zélande. Les multinationales pharmaceutiques ne sont pas seules responsables de l’expansion et la globalisation du TDAH, on doit aussi évoquer les possibilités qu’offre l’accès à internet avec la diffusion dans toute les langues de l’information sur le TDAH, mais aussi des tests ou check lists permettant un auto diagnostic, marketing de l’auto diagnostic, le rôle des usagers, des forums de discussion, le changement des mentalités concernant la demande des usagers et le rôle du diagnostic psychiatrique, la pression à la réussite scolaire et en fin la domination des DSM IV puis 5 qui ont abaissé les seuils d’inclusion dans cette pathologie par rapport à la CIM 10 classification de l’OMS. Face à cette globalisation il est utile de s’intéresser aux îlots de résistance et en particulier à l’exemple français.

Pendant longtemps jusqu’aux années 2005 la prévalence du TDAH en France est restée très basse autour de 1 à 2 % des enfants de 6 à 17 ans, alors qu’elle explosait aux USA et qu’elle connaissait une courbe très ascendante dans d’autres pays européens comme la Grande Bretagne 5,8%, les pays scandinaves ou l’Espagne plus de 5%. Les raisons de cette particularité française sont multiples et intriquées entre elles. Je citerai la forte empreinte de la psychanalyse et de la culture psycho-pathologique parmi les pédopsychiatres français avec une réticence parfois idéologique à prescrire des médications aux enfants, l’existence d’une classification française des maladies mentales qui prenait appui sur la tradition clinique européenne dissociant l’hyper-activité des troubles de l’attention. Beaucoup de pédopsychiatres français considéraient le TDAH comme une construction sociale made in USA sans grande validité et fondée sur une théorie biologisante réductionniste. Par ailleurs la France a longtemps possédé un système scolaire de haut niveau intégrateur et assez tolérant aux troubles du comportement des enfants, enfin une limitation légale à la prescription de psychostimulants aux enfants réservée aux médecins spécialisés et hospitaliers. Depuis les années 2000 beaucoup de choses ont changé et les derniers chiffres sur la prévalence font état de 3,5% d’enfants de 6 à 17 ans étiquetés TDAH sans parler des adultes la France « rattrape son retard ». Quels sont les paramètres responsables de cette évolution? Tout d’abord l’introduction massive du DSM dans l’enseignement et la pratique psychiatrique, mais aussi des campagnes médiatiques visant à discréditer la psychanalyse comme méthode d’abord et de thérapeutique des troubles psychiatriques en particulier l’autisme, ces campagnes ont discrédité aussi la pédopsychiatrie considérée comme étant influencée par des théories « has been » au profit de la neuropédiatrie plus « up to date » avec ses hypothèses neurodéveloppementales.

Le modèle bio médical exclusif a fait une percée importante. Par ailleurs la demande sociale à l’égard de la pédopsychiatrie a changé prenant pour axe la disparition la plus rapide possible des troubles du comportement de l’enfant perturbateur, les usagers ont commencé à refuser l’approche trop idiosyncratique, trop lente et responsable d’errance diagnostique et thérapeutique issue de la psychanalyse selon eux lui préférant une approche plus standardisée, les firmes pharmaceutiques bien sûr ont vendu le TDAH et enfin le système scolaire républicain français traverse une crise majeure avec une grande difficulté à intégrer des enfants issus de l’immigration dont certains cumulent les problèmes psychologiques sociaux, culturels, linguistiques et éducatifs. Les enseignants, face aux situations croissantes hors de leur contrôle, acceptent de plus en plus de devenir non seulement des filtres prédiagnostic du TDAH, mais aussi de psychiatriser les comportements et de rechercher des solutions à court terme en se transformant en « courtier » de la prescription médicamenteuse.

La pédopsychiatrie française est en train de passer à propos du TDAH d’un modèle qui s’est avéré dans certains cas réductionniste, une psychiatrie sans cerveau, purement psycho sociale à un modèle vraiment réductionniste biomédical importé des USA avec la complicité de certains experts. Enfin la médication psychostimulante a changé de fonction sociale : Karl Marx disait que la religion est l’opium du peuple visant à endormir les conflits sociaux, la médication psychostimulante devient l’opium du peuple des enfants visant à éviter les conflits familiaux, pédagogiques, éducatifs psychiques et sociaux. L’avenir pour la psychiatrie appartient au refus de ces extrêmes, au bon sens, à la clinique du sujet et à l’approche psychiatrique humaniste, ouverte aux découvertes scientifiques.

Patrick Landman

novembre 23, 2014

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