Hommage à Anne Dufourmantelle : Notre amie et la psychanalyse
Anne Dufourmantelle, psychanalyste, nous a quittés il y a quelques jours. Elle a manifesté à plusieurs reprises son soutien à l’action de STOP DSM. Nous lui rendons hommage en publiant sur notre site ce texte écrit par deux collègues qui l’ont bien connue, Rhadija Lamrani & Silvia Lippi. Patrick Landman
Oui, nous avons été amies avec Anne Dufourmantelle et nous sommes, comme beaucoup d’autres, accablées par sa disparition. Nous avons parlé, ri, pensé avec elle. Nous avons connu son histoire, son intelligence, son talent, son humilité, sa générosité et son ouverture d’esprit, mais aussi ses maladresses attendrissantes ; souvent perchée sur une étoile comme pour enfin se mettre à l’écart. Plusieurs chroniques ont fait l’éloge de cette femme remarquable et ont souligné les différents aspects qui ont fait d’elle une figure centrale dans le monde de la culture contemporaine.
Anne Dufourmantelle était psychanalyste. Sa contribution à la diffusion de la psychanalyse a eu une grande importance dans une époque où celle-ci doit défendre, de toutes part, sa présence dans le monde.
Par-delà le masque trompeur de la psychologie posée comme nouvel adversaire de la psychanalyse, c’est toujours la chose médicale, le modèle de la médecine scientifique et ses relations nouvelles avec les neurosciences qui demeurent, en dernière instance, le point de résistance majeur à la psychanalyse.
La psychanalyse nourrit la plus extrême des prétentions, celle de faciliter une liberté de désirer, de penser, voire d’être, autant dire de faire bouger les lignes les plus profondément tracées de la vie humaine. Ce faisant, elle ne se contente pas de chercher la liberté, elle contribue à sa conception. Ainsi pour se dire et se faire, inutile de se complaire dans un langage ésotérique ou jargonnant.
Anne Dufourmantelle a opéré à l’envers : elle a utilisé un langage non conventionnel, un langage qui pouvait être compris par un public qui s’intéressait à la psychanalyse directement ou indirectement.
Nous voulons saluer notre amie en la remerciant pour son engagement pour la Psychanalyse. Engagement qui s’est exprimé à travers les livres bien sûr, mais aussi grâce à ses participations – assez inattendues, il faut le dire – dans les médias, et à sa présence dans le monde intellectuel. L’orientation d’Anne Dufourmantelle était toujours précise, sans être dogmatique, ni sectaire.
Elle était une psychanalyste « laïque », ce qui marque encore plus son indépendance à l‘égard de la position « religieuse » du positivisme dominant. Il n’y a de psychanalyse que laïque, écrivait Freud, et Anne Dufourmantelle défendait clairement cette position. C’était une posture courageuse à une époque où même certaines écoles de psychanalyse n’acceptent pas de bon gré les analystes qui n’ont pas des diplômes de médecine ou de psychologie, ce qui est une véritable entorse à la pensée de Freud et de Lacan ! La position de Freud est claire quant à la formation, il déclare avec fermeté « qu’il ne s’agit pas de savoir si l’analyste possède un diplôme de médecin, mais s’il a acquis la formation particulière dont il a besoin pour la pratique de l’analyse ».
Quelle serait alors, selon Freud la « formation la plus appropriée » ?
Il répond que c’est celle qui comprendrait « histoire de la civilisation, mythologie, psychologie des religions et littératures », aussi bien que « sociologie, anatomie, biologie et histoire de l’évolution » (1926).
C’était de cette « extraterritorialité » qu’Anne Dufourmantelle transmettait l’enseignement freudien. Elle l’a fait avec son style, rigoureux et sensible, à partir de sujets qui faisaient question pour la psychanalyse (l’amour, l’affect, le rêve, le risque…).
Elle était a été capable de rafraichir le langage de la psychanalyse. Il n’y a pas de transmission de la psychanalyse sans un vrai renouvellement du langage. Nous la remercions vivement pour avoir réussi cette tâche innovante et audacieuse. Notre hommage, à la personne et à l’œuvre, sera celui de tenter de poursuivre sa démarche.
Rhadija Lamrani & Silvia Lippi