Pourquoi contester le TDA/H ?

Parce qu’on est passé d’une entité sémiologique cohérente à une pseudo maladie pharmaco-induite devenue incontrôlable

Tout d’abord les circonstances de la création du TDA/H : certains défenseurs du TDA/H prétendent que ce trouble mental est dans la filiation des descriptions du psychiatre français Bourneville ou de Henri Wallon avec son “enfant turbulent” d’Abrahamson ou de l’hyperkinésie, les américains le considèrent eux en droite ligne de “Fidgetty Philip” qui rendait ses parents fous par son agitation, conte écrit par Heinrich Hoffmann pour son fils Carl Philipp.

Ce narratif concernant la filiation qui vise à légitimer le TDA/H en s’étonnant de l’ignorance , du déni ou de la mauvaise foi des adversaires est mensonger car il fait silence sur un autre aspect de l’histoire de la création du TDA/H, aspect qui a transformé l’ancienne instabilité ou hyperkinésie en un trouble mental pharmaco induit autrement dit un trouble taillé sur mesure pour “coller” à l’action d’une molécule. Les circonstances de la naissance du TDA/H sont très minutieusement rapportées dans le livre de ce grand journaliste Alan Schwartz “ADHD Nation”.

Voilà comment dans ce livre Léo Eisenberg parle de la naissance du TDA/H :

“A trial of amphetamine therapy brought about striking behavioral changes, a decisive improvement in school performance, and a consequent uneasy peace among the warring factions. It was difficult to argue with success.” Leon Eisenberg Minimal Brain Dysfunction in Children June 1970.

Je traduis :

« Un essai de thérapie par amphétamine a provoqué des changements de comportements frappants, une amélioration décisive de la performance scolaire, et une paix conséquente malaisée à obtenir entre les factions en guerre. Il était difficile d’argumenter avec succès. » (1)

Cette citation montre le caractère décisif de l’impact de la molécule pour redéfinir le trouble. Il est vrai que le terrain avait été préparé avant guerre par Bradley et plus tard par les hypothèses non prouvées d’un dommage cérébral à l’origine du trouble hyperkinétique “minimal brain dysfunction ou damage” et donc à la possibilité d’une réparation chimique du trouble. Alan Swartz décrit même la scène où le représentant du laboratoire pharmaceutique donne de l’argent pour que les psychiatres fassent un essai clinique auquel ils sont réticents.

On pourrait objecter qu’il n’y a là rien de gênant et que c’est la marche de la recherche en psychiatrie et aussi que ça n’est pas la première fois que la nosographie a été modifiée par la pharmacologie. Je suis d’accord mais la question n’est pas à situer à cet endroit. La pharmaco induction en soi n’est pas choquante comme par exemple dans la transformation des troubles anxieux en deux catégories distinctes ceux qui répondent aux anti-dépresseurs (troubles paniques) et ceux qui répondent aux anxiolytiques (TAG) mais en l’occurence il s’agit d’un psychostimulant, d’une amphétamine donc d’une sorte de drogue administrée à des enfants. Quand un trouble mental est induit par une “drogue” il a vocation à être diagnostiqué pour servir l’usage de cette drogue, de créer une fausse épidémie ,et c’est ce qui est arrivé très vite aux USA avec un surdiagnostic et une surprescription, le méthylphénidate servant de dopant scolaire “d’opium du peuple scolaire”. Nous avions déjà connu ce phénomène épidémique pharmaco induit par les antidépresseurs avec l’individualisation de l’épisode dépressif majeur, trouble issu d’une clinique superficielle sans référence structurale ou concernant l’organisation psychique du sujet. L’épisode dépressif majeur a en effet englobé la tristesse normale puis le deuil. On est passé d’une médication psychiatrique à une médication de confort au service de la dite “santé mentale”.

Au fur et à mesure des éditions du DSM le TDA/H s’est vu diminuer les seuils d’inclusion,(avant 7 ans puis avant 12 ans) alléger les restrictions au diagnostic le dernier allègement est la comorbidité possible avec les troubles autistiques et s’adapter aux effets escomptés du médicament avec la focalisation sur l’attention cible du méthylphénidate au détriment de l’hyperactivité sur laquelle le médicament agit beaucoup moins. Toutes ces modifications ont permis un élargissement considérable du marché. La théorie non prouvée du dommage cérébral minimum s’est transformée en une autre théorie non prouvée : “le TDA/H n’est plus dans le DSM 5 un trouble du comportement mais un trouble neuro-développemental”.
L’épidémie de TDA/H était inscrite dans son acte de naissance alors que la prévalence de l’hyperkinésie était tout à fait stable car comme certains autres troubles mentaux elle se rapprochait d’une entité sémiologique cohérente sans être un syndrome et surtout elle se différenciait clairement de la norme ce qui n’est nullement le cas du TDA/H.

Il est vrai qu’à partir de cette pharmaco induction d’autres facteurs ont contribué à faire du TDA/H un véritable fait social car le champ de la santé mentale et de sa prise en charge psychiatrique nous le savons relève en effet de plus en plus d’un processus de construction sociale de la reconnaissance d’un ensemble de comportements en particulier chez les enfants comme pathologiques et de leur nécessaire traitement médical. Dans ce processus interviennent différents acteurs comme l’institution scolaire, les parents, les associations d’usagers, les pouvoirs publics etc…

Parce que c’est un trouble à la validité plus douteuse encore que certains autres troubles mentaux du DSM

Le TDA/H est un diagnostic fourre tout qui présente de nombreux facteurs de confusions :

Peuvent être diagnostiqués TDA/H des enfants épileptiques , des enfants traumatisés, des enfants présentant des troubles du sommeil, des enfants immatures, des enfants au haut potentiel, des enfants psychotiques, des autistes , des enfants avec des difficultés instrumentales dit dys, des enfants présentant des troubles sensoriels, des enfants présentant des troubles obsessionnels, anxieux, Gille de la Tourette, une schizophrénie, des troubles de l’humeurs etc… et même des enfants sans trouble mais dans une période de difficulté passagère ou réactionnelle. La validité “médicale” de ce trouble est quasi nulle. Ces facteurs de confusion sont très bien décrits dans le livre de Richard Saul “ADHD does not exist” (2)

Aucun autre trouble décrit dans le DSM 5 n’accumule autant de facteurs de confusion. Ces confusions peuvent prêter à des conséquences importantes pour l’évolution de certains enfants qui ne reçoivent pas la prise en charge ou la médication adéquates je pense aux enfants psychotiques ou autistes dont l’état n’est pas diagnostiqué renforçant parfois le déni de l’entourage enfants qui se voient administrer un traitement symptomatique dont il n’aurait pas besoin. Refuser le fourre tout du TDA/H exige de convoquer une clinique plus fine au cas par cas fondée non seulement sur les check lists ou sur l’examen neuropsychologique qui donnent une première orientation et un profil cognitif mais sur l’approche du fonctionnement psychique global de l’enfant et sur un examen pédiatrique si nécessaire. Les comportements qui permettent le diagnostic de TDA/H n’ont en réalité aucune spécificité que ce soit l’inattention l’impulsivité ou l’hyperactivité et dans le moins pire des cas il ne peut s’agir que d’un diagnostic par élimination. Je préfère considérer que dans le cas où ces symptômes existent, qu’ils ne sont pas attribuables à aucune cause médicales ou à aucun trouble psychiatrique, qu’ils entraînent une gêne fonctionnelle intense une interaction conflictuelle avec l’entourage, une stigmatisation, un échec dans les apprentissages, une baisse de l’estime de soi importante voir une dépression en un mot une souffrance psychique, une situation de handicap et un risque pour l’évolution de l’enfant, alors se pose l’indication d’un traitement au méthylphénidate si les autres mesures thérapeutiques ne suffisent pas et dans tous les cas cette médication doit être accompagnée d’une prise en charge globale et d’un soutien de l’enfant et de ses parents.

Le diagnostic de TDA/H n’est pas obligatoire pour une éventuelle ouverture de droits si elle s’avère souhaitable et qu’elle est voulue par les parents, cette ouverture peut se faire sous couvert d’autres appellations plus valides. On peut mettre différents mots sur la souffrance psychique ou les difficultés fonctionnelles d’un enfant mais il arrive que les parents réclament le diagnostic ou fassent eux mêmes le diagnostic de TDA/H avec un degré d’adhésion très variable et qu’ils en demandent confirmation au professionnel. Il ne saurait y avoir de recette pour répondre à cette demande mais dans tous les cas où ce diagnostic rassure les parents, leur permet de communiquer sur des forums etc… il est préférable de ne pas le démentir pour éviter le risque de passer pour incompétent ou de tenant d’une pratique obsolète étant donnée la propagande qui se déverse dans certains milieux contre les pratiques psychodynamiques , car l’alliance thérapeutique avec les parents est un élément essentiel de la prise en charge, tout en expliquant que ce diagnostic TDA/H doit être considéré comme purement fonctionnel, il y a à ce propos consensus parmi les experts qu’il n’est pas un “désignateur rigide” impliquant un protocole et que l’enfant devra s’en émanciper.

Parce que le TDA/H est paradigmatique de la fausse scientificité de la psychiatrie contemporaine

La promotion scientifique du TDA/H et sa mondialisation révèlent parfaitement tous les biais qui minent la crédibilité de la psychiatrie contemporaine qui est marquée par une rhétorique de la promesse dont la réalisation est sans cesse repoussée du fait de la complexification qu’apporte la science ainsi qu’un usage biaisé de l’imagerie et des études abusivement présentées comme des preuves scientifiques.
À en croire certains défenseurs extrémistes du TDA/H nous serions dans une ère scientifique qui a relégué la psychanalyse au rang de l’astrologie. La science avance bien heureusement, les neurosciences nous fournissent des pistes et des modes d’approche très intéressants mais les retombées pour la pratique quotidienne sont encore très modestes.

Il y a eu à travers le monde au cours des dernières décennies des milliers d’études sur le TDA/H, des millions de dollars dépensés sans bien sûr la moindre découverte décisive. On peut l’affirmer : ON NE TROUVERA JAMAIS LES MARQUEURS BIOLOGIQUES DU TDA/H étant donné le peu de cohérence interne de ce trouble et la très grande difficulté à inclure des cas cliniques homogènes. Par ailleurs s’il semble logique que des perturbations comportementales dans certains cas soient corrélées avec des images cérébrales anormales cela ne dit strictement rien sur la causalité, de plus ces images se retrouvent dans d’autres pathologies et même chez des enfants sans pathologie elles ne sont en rien spécifiques . Par ailleurs le TDA/H comme fait social qui émerge depuis les années 90 en Occident bénéficie d’un traitement particulier dans les médias, je cite François Gonon etc.(3) (4)

“Le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) est en progression rapide dans les pays occidentaux. Cette évolution s’est accompagnée de controverses largement médiatisées. Les débats portent sur 1) les causes du trouble et en particulier son origine génétique, 2) les marqueurs biologiques susceptibles d’aider au diagnostic, et 3) l’efficacité du traitement par la ritaline. Sur ces trois questions, les connaissances scientifiques ont largement évolué depuis le début des années 1990. L’influence du déterminisme génétique est maintenant considérée comme mineure par rapport à celle de l’environnement. Toutes les tentatives de mise au point de marqueurs biologiques (tests génétiques,
imagerie cérébrale) ont échoué. Enfin, les études à long terme ont montré que le traitement médicamenteux ne protège pas les enfants souffrant du TDAH contre le risque d’échec scolaire. Dans une étude déjà publiée nous avons montré que la presse anglosaxonne a largement médiatisé dans les années 1990 les découvertes initiales favorables à la médicalisation du TDAH. Par contre la même presse a beaucoup moins médiatisé les études scientifiques ultérieures qui ont réfuté ou largement atténué ces études initiales et n’a jamais signalé ces réfutations. La presse n’a donc pas suivi l’évolution des connaissances scientifiques et cette défaillance est principalement due au processus de publication scientifique.”

Aux États Unis une étude à très large échelle est menée depuis plus de 10 ans sur le TDA/H cette étude est dite étude MTA study qui porte sur des milliers d’enfants avait montré pour résumer une supériorité de la médication sur les autres méthodes thérapeutiques au bout de 18 mois. Ces résultats ont été hypermédiatisés. Au bout de 7 ans cette même étude a montré des résultats en contradiction avec les précédents et surtout que sans changements de l’environnement psychosocial avec ou sans médicament les résultats scolaires ne sont pas améliorés à terme. Ces données n’ont pas fait l’objet d’une médiatisation équivalente loin s’en faut mais elles sont concordantes avec l’idée que le TDA/H est malheureusement bien souvent un voile médical mis sur des problèmes psychiques, éducatifs, pédagogiques et sociaux.
De plus le TDA/H tend à accréditer l’idée que le problème se situe dans le cerveau des enfants cela a le mérite de déculpabiliser les parents dit on mais c’est une affirmation sans preuve. Ceux qui prétendent que la preuve résiderait dans le fait qu’un produit chimique peut modifier les comportements ou l’attention et donc qu’il y avait une anomalie cérébrale quelque part se trompent car on observe les mêmes modifications chez les sujets non étiquetés TDA/H.

Quand dans la première partie du siècle dernier on parlait de “minimal brain damage” il s’agissait d’une population d’enfants présentant des déficiences marquées il était alors plausible de considérer tous les signes comme provenant de lésions cérébrales mais quand le TDA/H touche entre 5 et 20% des enfants il s’agit d’une position idéologique réductionniste.

Parce que le méthylphénidate (MPH) n’est pas une pilule magique

Le MPH est une opportunité dans certains cas car c’est un médicament qui « marche » c’est à dire
qu’il produit un véritable effet positif sur l’attention permettant une meilleure concentration en particulier dans l’accomplissement des tâches fastidieuses. De plus il marche à très court terme ce qui donne le sentiment d’un changement « miraculeux « ou au moins d’une rupture avec une situation antérieure symptomatique un cercle vicieux une synergie négative qui entraînaient des souffrances pour le sujet et son entourage. L’enfant grâce au MPH pour la première fois de son existence a le sentiment de répondre aux exigences de l’institution scolaire et parfois des parents. Il n’y a rien de surprenant puisqu’il s’agit d’une molécule dérivée des amphétamines qui sont connues de longue date.

De plus la prescription de MPH est réclamée car avec son action rapide et son effet « miraculeux » qui se diffusent de façon virale dans certains forums et réseaux sociaux elle semble répondre au changement de mentalité et de demandes adressées à la pédopsychiatrie. La peur de l’échec scolaire exige une réponse symptomatique efficace stimulant la prescription d’un « dopant scolaire ».

Enfin le MPH est le bienvenu pour les médecins praticiens pédopsychiatres qui ont une pharmacopée pauvre non curative avec des effets secondaires il est alors compréhensible que certains se jettent sur le méthylphénidate comme sur « du bon pain » car c’est la dernière grande classe en date de psychotropes .
Mais la représentation sociale du MPH est déformée, l’attente est excessive, car il présente des effets secondaires , son utilisation à l’adolescence est source de dépersonnalisation , son effet à long terme est peu documenté, il n’est pas un remède ni contre les conduites addictives ni contre l’échec scolaire., il n’est pas à lui tout seul un stabilisateur de trajectoire et en moyenne son efficacité s’épuise après deux ans d’utilisation. Sans parler du mésusage ou du détournement. Par ailleurs du fait du découpage en comportements la prescription MPH est parfois une porte d’entrée à la prescription d’autres psychotropes augmentant le risque d’effets indésirables.

Pour toutes ces raisons il faut considérer que le MPH n’est en rien la pilule magique

Parce qu’il existe des alternatives au TDA/H et des solutions

Quelles sont elles?

Formation ou sensibilisation des praticiens à la psychopathologie en même temps qu’aux outils standardisés ne serait ce que pour repérer les psychoses sous jacentes, au travail approfondi au cas par cas, à l’écoute attentive, aux psychothérapies diverses, aux techniques de groupe, au psychodrame, à la psychomotricité apprendre à ne pas englober excessivement dans un diagnostic fourre tout, à trouver une juste distance entre idiosyncrasie et standardisation. Le TDA/H ne doit pas devenir un diagnostic paresseux par application de protocoles face à une situation de souffrance mentale ou de difficultés scolaires. Refus du paternalisme, partenariat avec les parents.

Formation des praticiens à la recherche avec l’esprit scientifique,, apprendre à faire une différence entre les corrélations et les causalités ,à trier entre les études en repérant les principaux biais des études,biais méthodologiques ou statistiques mais aussi à relativiser le discours sur les neurosciences avec ses causes de distorsions comme les carrières des chercheurs , les intérêts médiatiques des éditeurs de revue scientifiques, la renommée des universités et des centres de recherche à ne pas céder à la « neuromania »et ses distorsions du discours sur les résultats tirés de l’imagerie cérébrale, cette formation est indispensable pour lutter contre les courants antipsychiatriques extrémistes , à l’heure des fake news et de la post vérité.

Et plus loin de la pratique clinique

Démédicaliser le trouble de l’attention scolaire quand cela est nécessaire, soutenir les innovations pédagogiques qui, permettant de diminuer le taux de TDAH sont aussi très importantes

L’hygiène de vie, le sport, l’alimentation

La lutte contre les injustices sociales

Les mesures éducatives comme l’encadrement de l’exposition aux écrans etc…

En un mot tout un programme pour éviter d’importer le désastre américain et de livrer l’école de la République à l’avidité des laboratoires pharmaceutiques..

RÉFÉRENCES :

1) Schwarz, Alan. ADHD Nation: Children, Doctors, Big Pharma, and the Making of an American Epidemic (Emplacements du Kindle 36-37). Scribner. Édition du Kindle.

2) Saul, Richard. ADHD Does not Exist: The Truth About Attention Deficit and Hyperactivity Disorder . HarperCollins. Édition du Kindle.

3) Les distorsions du discours biomédical dans les médias et leur influence sur la médicalisation des difficultés scolaires: le cas de l’hyperactivité TDAH.
Jan Pieter Konsman, Mélanie Bourdaa et François Gonon (Université de Bordeaux)

4) Misrepresentation of Neuroscience Data Might Give Rise to Misleading Conclusions in the Media: The Case of Attention Deficit Hyperactivity Disorder
Francois Gonon1,2*, Erwan Bezard1,2, Thomas Boraud1,2

Patrick Landman
Octobre 2017

octobre 10, 2017

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