Le Méthylphénidate (MPH) : une opportunité qui risque d’être gâchée, quelles alternatives ?

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I) Pourquoi une opportunité?

Le MPH est une opportunité car c’est un médicament qui « marche », c’est à dire qu’il produit un véritable effet positif sur l’attention permettant une meilleure concentration en particulier dans l’accomplissement des tâches fastidieuses. De plus il marche à très court terme ce qui donne le sentiment d’un changement « miraculeux « ou au moins d’une rupture avec une situation antérieure symptomatique un cercle vicieux une synergie négative qui entraînaient des souffrances pour le sujet et son entourage. Il n’y a rien de surprenant puisqu’il s’agit d’une molécule dérivée des amphétamines.

Par ailleurs l’attention qui est la cible principale du MPH est devenue une valeur essentielle dans notre société pour plusieurs raison. En effet l’attention est une valeur sociétale à plusieurs titres :

  • Pédagogique : tout d’abord car sans attention pas d’apprentissage et surtout impossibilité ou très grande difficulté pour remplir les exigences de la scolarité ou de la société avec les risques d’isolement, voir de discrimination, de baisse de l’estime de soi voir de dépression ainsi que les comportements ou conduites compensatoires toujours nuisibles et parfois dangereuses. L ‘attention est devenue un pré-requis à l’école primaire.
  • Économique : l’attention des clients est à capter pour leur vendre des produits or les sollicitations sont telles avec toutes les sources d’information et de communication modernes que l’attention est une valeur précieuse Or dans notre société libérale quand un objet devient une valeur économique tout le monde s’y intéresse.
  • Neuropsychologique : L’attention est reliée aux fonctions exécutives donc au « cerveau dans le cerveau » et à ce titre toutes les études recherches et articles scientifiques concernant l’attention et ses troubles sont stimulés car ils sont « up to date » « cutting edge » sur un créneau porteur à la mode.

De plus la prescription de MPH est une opportunité car avec son action rapide et son effet « miraculeux » qui se diffusent de façon virale dans certains forums et réseaux sociaux elle semble répondre au changement de mentalité et de demandes adressées à la pédopsychiatrie. La peur de l’échec scolaire exige une réponse symptomatique efficace stimulant la prescription d’un « dopant scolaire »

Enfin opportunité pour les médecins praticiens car nous les psychiatres et pédopsychiatres avons une pharmacopée pauvre et partiellement inefficace alors il est compréhensible que nous nous jetions sur le méthylphénidate comme sur « du bon pain » car c’est la dernière grande classe en date de psychotropes .

2) Pourquoi une opportunité gâchée ?

Une vocation à la sur-prescription
Même s’il est très peu probable que nous arrivions en France à des pourcentages que l’on constate aux USA avec près de 10% d’enfants traités par MPH ou d’autres psychostimulants non utilisés en France dans certains états, la sur-prescription est très probable. Pourquoi?

Tout d’abord en raison d’un sur-diagnostic parce que la prescription de MPH est précédée d’une opération diagnostique. Et le diagnostic qui ouvre la voie à la prescription c’est le TDA/H et c’est ce diagnostic TDA/H qui a vocation à être sur-diagnostiquer car il repose en bref sur des signes non spécifiques souvent difficiles à distinguer de la normale avec plusieurs co-morbidités.

Malgré sa validité douteuse (absence de preuves scientifiques, de marqueurs biologiques alors qu’il y eu près de 40000 études scientifiques consacrés au TDA/H et des millions dollars dépensés etc…), sa fiabilité pauvre, les nombreux facteurs de confusion comme l’immaturité le diagnostic de TDA/H est devenu un vrai fait social car il est utile , il permet de mettre un nom médical sur des souffrances psychiques sur un échec ou un décrochage scolaire évitant une pénible errance diagnostique , il permet une déculpabilisation parentale en invoquant un trouble cérébral, il permet une ouverture de droits comme handicap reconnu, il est soutenu par la « propagande »   des laboratoires pharmaceutiques ( les psychostimulants au niveau mondial au début des années 90 cela représentait moins de 100 millions de dollars et on est passé à plus de 5 milliards de dollars en 2012) et aussi par certaines associations d’usagers qui ont à l’occasion des conflits d’intérêts, il permet en outre en médicalisant d’occulter parfois les problèmes sociaux éducatifs ou pédagogiques corrélés aux troubles constatés.

Opportunité gâchée car le DSM manuel diagnostique US qui est mondialisé abaisse les seuils d’inclusion pour le TDA/H d’une version à l’autre favorisant le sur-diagnostic et surtout depuis sa version 5 fait figurer le TDA/H parmi les troubles neuro-développementaux. C’est à dire en substance que le TDA/H en fait ne relèverait plus de la pédopsychiatrie mais qu’il est « neurologisé » ce qui entraîne logiquement une augmentation de la réponse médicamenteuse avec des « adjuvants » comportementaux concernant l’interaction avec l’enfant qui ne tiennent pas la durée à l’expérience car on attend tout de la pilule magique avec par conséquence une démobilisation de tous les acteurs et en particulier des parents.

La représentation sociale du MPH est déformée l’attente est excessive, car il présente des effets secondaires , son utilisation à l’adolescence est source de dépersonnalisation, son effet à long terme est peu documenté, il n’est pas un remède ni contre les conduites addictives ni contre l’échec scolaire., il n’est pas à lui tout seul un stabilisateur de trajectoire et en moyenne son efficacité s’épuise après deux ans d’utilisation. Sans parler du mésusage ou du détournement qui augmentent dangereusement.

3) Quelles alternatives ?

Quelques pistes :

– Savoir utiliser l’outil MPH au sein d’une approche thérapeutique diversifiée et fondée sur des éléments cliniques sérieux.

– Formation des praticiens à la psychopathologie en même temps qu’aux outils standardisés ne serait ce que pour repérer les psychoses sous-jacentes, au travail approfondi au cas par cas, à l’écoute attentive, aux psychothérapies diverses psychodynamiques et comportementales , à ne pas englober excessivement dans un diagnostic fourre tout, à trouver une juste distance entre idiosyncrasie et standardisation. Le TDA/H ne doit pas devenir un diagnostic paresseux par application de protocoles face à une situation de souffrance mentale. Refus du paternalisme, partenariat avec les parents.

– Formation des praticiens à la recherche avec l’esprit scientifique, à distinguer entre « la rhétorique de la promesse et l’évidence de la preuve » comme dit F. Gonon, apprendre à faire une différence entre les corrélations et les causalités ,à trier entre les études en repérant les principaux biais des études,biais méthodologiques ou statistiques mais aussi à relativiser le discours sur les neurosciences avec ses causes de distorsions comme les carrières des chercheurs , les intérêts médiatiques des éditeurs de revue scientifiques, la renommée des universités et des centres de recherche à ne pas céder à la « neuromania »et ses distorsions du discours sur les résultats tirés de l’imagerie cérébrale, cette formation est indispensable pour lutter contre les courants antipsychiatriques extrémistes , à l’heure des fake news et de la post vérité.

Et plus loin de la pratique clinique :

  • Les innovations pédagogiques qui permettent de diminuer le taux de TDAH sont aussi très importantes
  • L’hygiène de vie, le sport, l’alimentation
  • La lutte contre les injustices sociales
  • Les mesures éducatives comme l’encadrement de l’exposition aux écrans etc…

En un mot tout un programme pour éviter d’importer le désastre américain et de livrer l’école à l’avidité des laboratoires pharmaceutiques.

Patrick Landman