Qu’est-ce que l’attention ?

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Il semble que dans le milieu psychiatrique sous la domination du DSM on considère comme un fait acquis que l’attention se mesure, s’évalue et peut être l’objet d’un déficit dont on ne connaît pas les causes mais que l’on considère au mieux comme plurifactorielles ou tout simplement d’origine purement cérébrale, reprenant l’idée ancienne du « minimal brain dammage ». De plus ce supposé déficit est regardé comme le paradigme principal d’une « maladie » qui touche de plus en plus d’enfants et d’adolescents et depuis peu aussi bien de plus en plus d’adultes, cette « maladie » appelée trouble est le TDAH, acronyme de Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité.

Notre propos est d’interroger ce fait acquis.

I) L’attention dans la démarche diagnostique du DSM 5

Si on examine de près les critères diagnostiques du DSM 5 concernant l’attention dans le TDAH, si on lit les écrits complémentaires à cette démarche ainsi que les commentaires des promoteurs du DSM 5, force est de constater trois éléments

1) Pour le diagnostic du TDAH, il existe dans le DSM 5 deux listes de critères comportant neuf signes chacun.

Dans la liste « troubles d’attention » les difficultés ou manquements dans les devoirs scolaires sont nommés quatre fois, ce qui laisse entendre ce que l’on cherche à déterminer, à identifier. De plus  à propos de l’item « a du mal à organiser ses travaux », il ne va pas de soi que cette difficulté à planifier relève nécessairement d’un trouble de l’attention. A noter aussi que les rédacteurs du DSM 5 ont pris le soin de préciser qu’il faut distinguer ce manquement à l’organisation d’un trouble à type d’opposition. En fait il s’agit d’une opposition permanente et manifeste mais comment distinguer ce manquement d’attention au travail scolaire avec une opposition larvée, latente, épisodique, ponctuelle etc..? Avec cette approche le DSM 5 « diagnostique » en réalité l’inattention de l’élève qui ne réussit pas à faire seul ses devoirs, c’est l’inattention du mauvais élève ». Ces traits sélectionnés peuvent se résumer à l’étourderie et à la distraction, avec une confusion entre distraction et distractibilité, qui est la facilité à être distrait par tout stimulus étranger à la tâche.

Nous savons que la distraction n’exclue pas la concentration, et un piéton concentré sur quelque chose peut traverser au feu vert, il est concentré mais distrait. De même rien n’est dit dans les critères diagnostiques du contexte où se manifeste les troubles de l’enfant, de la conflictualité qui peut les accompagner, il suffit qu’ils apparaissent à deux endroits différents, l’enfant TDAH du DSM 5 est un enfant essentiellement isolé dans l’appréciation de son attention il n’est pas un enfant en relation ce qui permet de lui faire porter seul la responsabilité de ce trouble du comportement. En conclusion nous pouvons affirmer avec Bernard Jumel (1) que « Avec la présentation des neuf critères d’inattention, en ne traitant ni de ce qu’est l’attention ni des conditions de l’attention, les seuls aspects des conduites retenus ont peu à voir avec l’attention ». Les critères DSM repèrent  plutôt à défaut de troubles de l’attention ce que la clinique classique appelait l’instabilité dont les facteurs déclenchants sont multiples hautement influencés par le contexte et qui peut être dans les variations de la normale aussi bien que pathologique.

2) Le DSM fait table rase de la tradition et de la méthodologie de l’évaluation psychologique.

Les tenants du TDAH affirment généralement que le diagnostic est clinique et que les tests psychologiques ne sont d’aucun secours. Les questionnaires élaborés par les experts (Type Conners) ont la particularité de répertorier des critères qui « collent » au DSM, mais surtout ils ne sont pas destinés avec quelques réserves à être observés dans une relation duelle. Or ce contexte de relation duelle est  très important dans l’évaluation psychologique, dans la psychométrie, à l’extrême limite et formellement le diagnostic pourrait se faire sans que le clinicien ait été en contact avec l’enfant. Pire les fluctuations de l’attention avec le temps et le contexte que tous les enfants connaissent sont mises en avant par les tenants du TDAH dans le but de dissuader d’identifier l’enfant TDAH par des épreuves individuelles. Donc si un enfant réussit mieux des épreuves, se concentre mieux, est plus attentif dans le cadre d’une relation de proximité, il ne faut pas en tenir compte selon le DSM, Barkley un des « fondateurs » du TDAH a dit qu’il ne fallait pas tenir compte du WISC III ou un facteur de concentration (Freedom From distractibility) sature trois des épreuves à cause de la relation de proximité qui prévaut dans l’épreuve du WISC entre l’enfant et le psychologue, alors qu’à l’évidence il s’agit d’un élément clinique d’importance susceptible d’éclairer autrement le trouble. En réalité un  psychologue clinicien expérimenté dans les tests psychologiques  faisant passer un WISC ou un rééducateur sont beaucoup plus à même de dire quelque chose de pertinent sur l’attention d’un enfant que ces questionnaires calqués sur le DSM axés sur les seuls comportements et biaisés par l’appréciation subjective, surtout si ces praticiens sont formés à la psychanalyse leur permettant un recul  et une profondeur de champ. Il est vrai que l’attention fait difficulté depuis toujours pour les théoriciens des tests et la version IV du WISC n’a plus à proprement parler d’épreuves testant l’attention, mais c’est dans un souci de rigueur scientifique car aucune épreuve ne mesure spécifiquement l’attention pas même les épreuves de barrages. En conclusion la méthode diagnostique du DSM 5 concernant le TDAH est un coup de force d’un certain nombre d’experts psychiatres voulant justifier leurs hypothèses  en particulier concernant l’étiologie cérébrale supposée.

3) La place du TDAH dans le DSM 5.

Le TDAH apparaît sous la rubrique principale, supérieure de  » déficit de l’attention et comportement perturbateur » ce qui a pour conséquences de réunir en quelque sorte sous un label commun le TDAH et le trouble des conduites. C’est tout de même symptomatique, car ni la CIM 10 (classification de l’OMS) ni la CFTMEA (classification française) ne font de même. Pour la CIM 10 le TDAH n’est pas en soi un trouble des conduites et pour la CFTMEA les troubles de l’attention sans hyperkinésie sont dans la grande catégorie des troubles cognitifs et des acquisitions scolaires. Donc ça n’est pas l’attention qui semble prioritaire pour le DSM mais bien plutôt les perturbations des conduites auxquelles elle est assimilée.

II) Quelques remarques brèves concernant l’attention

Il n’existe pas de définition scientifique de l’attention et aucun test n’est en mesure de discriminer le niveau d’attention d’un sujet de façon suffisante et « pure ». Les neuropsychologues s’opposent sur leur conception de l’attention, il y a les partisans d’une attention définie comme produit de l’organisation structurelle du champ perceptif et les partisans d’une séparation entre l’attention et le champ perceptif, une conception mentale de l’attention. Sans entrer dans les détails de cette querelle nous nous appuierons sur les idées de Luria (2)   réactualisées  qui est un des pionniers de la neuropsychologie pour avancer, risquer quelques réflexions:

1) Les « deux  » attentions

Chez le nouveau-né il existe il existe une forme élémentaire d’attention qui se manifeste par des réactions d’orientation, ou dans les heures qui suivent l’accouchement du fait probablement de l’imprégnation hormonale maternelle, des réactions d’imitation attestées par l’observation expérimentale. Certains voient dans cette attention dite involontaire le fondement  et l’ébauche d’un comportement dirigé, structuré, organisé et sélectif. Dans certains syndromes autistiques il existe une perturbation de cette attention élémentaire, reflexe, ainsi que dans certaines maladies organiques.

Mais ce qui est désigné en règle générale sous le terme d’attention c’est l’attention volontaire, qui comporte un objet but de l’action, une attente, une tension mentale et une action. Cette attention s’acquiert au fur et à mesure du développement mental et surtout du langage elle prend le pas sur la première attention qui est moins attractive. L’attention volontaire ne se construit  au départ que dans l’interaction sociale, c’est l’autre en particulier l’adulte qui désigne l’objet, qui le désigne comme désirable qui le nomme avec des mots, des signifiants et l’enfant va intérioriser petit à petit cette attention avec la progression de son langage. L’attention se développe avec le langage et le langage se développe avec l’attention.

2) Mais ce qui est essentiel c’est le caractère conjoint au départ de l’attention volontaire et cette attention reste toujours à un certain degré conjointe.

L’enfant qui fait seul ses devoirs scolaires, son attention est tout de même conjointe avec l’adulte non présent car les devoirs sont assimilés par exemple à la demande ou au désir de cet adulte qui incarne l’Autre, l’enfant peut aussi vouloir plaire ou s’opposer à cet adulte, à ses parents intériorisés, les imagos, à son langage intérieur etc… donc pas d’attention volontaire non conjointe. L’enfant cependant doit faire une place à cette attention conjointe, il doit avoir un espace psychique disponible.

3) L’attention volontaire porte toujours sur un objet.

Il n’existe pas d’attention sans objet, elle fluctue en fonction de l’objet, de sa désirabilité, de son accessibilité, de sa valeur, des mots qui le désignent, des souvenirs qu’il évoque, d’un fantasme qu’il incarne et de bien d’autres choses.

4) L’attention n’est pas la vigilance, au contraire un enfant trop vigilant ne peut prêter attention.

Un enfant déçu par l’adulte, maltraité ou abandonné peut devenir hypervigilant et être en grande difficulté pour se concentrer, car il ne peut laisser un espace à l’attention conjointe qui représente la demande de l’adulte, se concentrer exige de relâcher la garde, de supprimer la sentinelle.

En conclusion provisoire nous avons voulu donner un petit aperçu de la complexité de cette notion d’attention qui s’ajoute à la complexité des situations cliniques , mais aussi de l’insuffisance du DSM dans ce domaine. Il serait navrant que l’attention soit réduite à ce qu’en dit le DSM et que soit standardisée une attitude diagnostique et thérapeutique sous le label TDAH.

Patrick LANDMAN

(1) Bernard Jumel, Les troubles de l’attention chez l’enfant, Ed. Dunod, 2014
(2) Luria A., The working brain, New York basic books, 1973

mai 27, 2014

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